pouvoir

Le pouvoir et l’art magique

Un magicien féru d’histoire expliqua un jour à un collègue comment des peuplades sans discipline et sans armes perfectionnées ont pu résister si longtemps à la bravoure des troupes française et au feu meurtrier des canons. Un tour de prestidigitation expliquera cette résistance opiniâtre. Que cette assertion n’amène pas sur les lèvres un sourire d’incrédulité, ce n’est pas une boutade d’un esprit ami de la plaisanterie, mais l’expression de la plus stricte vérité.

Chez les Arabes, les Marabouts exerçaient un pouvoir sans bornes et la désobéissance à leurs ordres était sévèrement punie ici-bas et dans l’autre vie, dit-on. A l’époque de la conquête de l’Algérie, les Marabouts réunissaient leurs guerriers autour d’un baquet rempli d’eau, et soudain apparaissaient dans le liquide les images des soldats français, apparition de courte durée, car ces représentations s’évanouissaient bientôt. N’était-ce pas le présage certain de la défaite et de la fuite des français ?

Les Arabes crédules étaient fascinés et fanatisés par ces expériences, et ils couraient au combat avec l’intrépidité que donne l’assurance de la victoire. Echecs, défaites, rien ne les désillusionnait. Le truc des Marabouts est facile à deviner.  Des images d’Epinal représentant des soldats français étaient collées dans la paume de leurs mains, elles se reproduisaient dans l’eau quand les marabouts tenaient leurs mains au-dessus du baquet. Elles disparaissaient lorsque par un imperceptible coup de genou l’eau du baquet se troublait. Qui donc aurait jamais pensé que l’art de la magie serait détourné de son but pacifique pour entretenir les fureurs de la guerre ?

Quittons ces scènes de carnage et venons au milieu de la Sibérie rencontrer une peuplade Tchouktchis qui a le bonheur de vivre dans un climat désolé, sur les bords très peu enchanteurs du détroit de Béring. Il  semble que ce nom devrait tenter un artiste qui voudrait changer son nom patronymique et adopter un pseudonyme à sensation. Tchouktchis n’est-il pas rempli d’une douceur et d’une harmonie dont tout le monde doit demeurer d’accord ? Quel succès foudroyant obtiendrait une séance donnée par les chouktchis ? Elle électriserait les tempéraments les plus apathiques, elle enflammerait les cœurs les plus indifférents. Le soir, la foule s’écraserait à la porte du spectacle.

Dans la relation de son voyage, un explorateur écrit ce qui suit au sujet des Tchouktchis :

Les naturels se montraient affables, complaisants et cherchant à payer de la même monnaie nos cajoleries et nos badinages. Je frappais doucement de la main en signe d’amitié, sur la joue d’un vigoureux Tchouktchis et je reçus en réponse un soufflet qui faillit me renverser, Revenu de mon étonnement, je vis devant moi mon homme avec un visage riant, exprimant la satisfaction d’avoir su montrer son savoir-vivre. Il avait voulu taper doucement, mais d’une main habituée à ne taper que des rennes.

Nous fûmes témoins des preuves d’adresse données par un Tchouktchis qui passait pour Chaman ou sorcier. Il passa derrière un rideau d’où l’on entendit bientôt sortir une voix semblable à un hurlement, tandis que de petits coups étaient frappés sur un tambourin avec un fanon de baleine. Le rideau levé, on vit le sorcier se balancer et renforcer sa voix et ses coups sur le tambour qu’il tenait près de l’oreille. Alors, il jeta sa pelisse et se mit nu jusqu’à la ceinture. Il prit une pierre polie qu’il donna à tenir à Lütké, la reprit, et tandis qu’il faisait passer une main par dessus l’autre, la pierre disparut. Montrant une tumeur qu’il avait au coude, il prétendit que la pierre était à cet endroit puis il fit voyager la tumeur sur le côté et après avoir extrait la pierre, il affirma que l’issue du voyage serait heureuse.

On félicita le sorcier sur son adresse, et on lui fit présent d’un couteau. Le prenant d’une main, il tira sa langue et se mit à la couper. Sa bouche se remplit de sang. Enfin, après avoir tout à fait coupé sa langue. il en montra le morceau dans la main. Ici le rideau tomba : l’adresse du prestidigitateur n’allait pas plus loin. Comment, l’ illustre peut donner l’illusion d’une pierre escamotée courant sous la peau le long du bras et celle de la langue qui parait coupée, n’est pas une preuve suffisante d’adresse ?

Avec leurs restrictions, ces explorateurs avec leur vision que la plus petite banquise ou le moindre rocher empêchent d’aller plus loin ont déformer ce qu’ils ont semblé avoir vu.